Au Petit Matin à la Découverte

Au petit matin, nous avons atterri…
Tombées des nuées, sur ce sol étrange, inconnu. L’aspect filament nous surprend… sa douceur aussi. Très vite, nous nous rendons compte que ce terrain est en constant mouvement ; plus ou moins balancées, nous avons l’impression de flotter sur des nuages.
Il nous faut nous habituer à ce phénomène. En effet, à chaque pas essayé, nous craignons la culbute. Petit-à-petit, nous arrivons à nous y mettre. Nous en profitons pour avancer, marcher, découvrir un peu mieux cet environnement instable…

Qu’il est étonnant de voir tant de pics lancés vers le haut, tournoyant. On dirait de lianes qui cherchent à monter, monter, mais qui sont empêchées, courbées par les ondulations régulières, têtes toujours pointées, comme des mains qui cherchent à s’accrocher. Par contre, que c’est agaçant de s’empêtrer, s’accrocher les pattes à chacun de ces pics laineux.


          Je ne sais pourquoi mais j’ai l’intime conviction que notre petite troupe envahissante se retrouvera face-à-face avec d’aussi étonnants phénomènes qu’inhabituels. Bien que nous sommes habitués à rebondir devant toute nouvelle situation, nous ne devons pas rester inertes ; tant de choses peuvent nous arriver.
          Je ne voudrais pas en perdre une seule dans ma troupe…
          Si tôt finie cette réflexion, je me rends compte qu’une de mes équipières ne nous suit plus. Si déjà, il commence à en manquer une, jusqu’où va-t-on aller ?
D’un bond, laissant là les six autres, je vais à sa recherche.
          Je la retrouve déconfite, râlante, essayant de se dépêtrer, tantôt avec vigueur, tantôt désespérée. Elle s’était prise une patte dans l’un des filaments. En voulant s’en sortir par des bond successifs, elle avait fini par se coincer les autres. Résultat, elle était quasiment ligotée, emprisonnée.
          Pour l’en sortir, je me mets à donner de grands coups de griffe. Le filament s’effiloche petit-à-petit. Que sont casse-pieds toutes ces petites boules laineuses qui se forment, s’accrochant plus ou moins. Au bout d’un certain moment, enfin, une patte puis deux se libèrent. Je vois la ‘Kapucine’ se sentir mieux. Je m’attaque à la troisième patte, faisant vite et du mieux possible. Un coup de griffe se plante dans le sol, et un autre encore, et encore… Vais-je y arriver ou quoi ? me dis-je !
          Et là, l’effroyable se passe.
Je croyais avoir tout vu, mais ça non !


Une rangée de mur blanc tombe sur nous, en saccade. D’un rythme rageur, il cherche à nous broyer. Fouillant, trifouillant, accompagné d’un vent hurlant, violent, par lequel je me retrouve expulsée, moi la “Pucèle”. Durant cette éjection, je vois l’inacceptable se produire…
Un flot baveux, gluant, immerge la “Kapucine”. Toujours retenue prisonnière par une patte, elle se retrouve incapable de faire quoi que ce soit. Puis, d’un coup, comme un marteau-pilon, cette voûte blanche lui coupe une jambe, la broie, l’emporte avec elle dans cet orifice noir et rouge d’où je vois ce qui reste de mon équipière disparaître…


          Retombant sur le terrain, impuissante face à cet événement, je cours, galope pour rejoindre les autres ; fuir ce danger et les en avertir.
Triste et essoufflée, j’arrive auprès des six autres. Je les retrouve pêle-mêle, toutes chamboulées, secouées et légèrement affolées. Mettant de côté ma peine durant un instant, je m’enquiers de ce qui n’allait pas.
          Elles m’expliquent ne pas avoir compris, simplement que le sol s’est mis à bouger violemment ; et, dans la surprise générale, elles se sont retrouvées dans cet état où je les ai trouvées, sans rien y comprendre.
          Je leur raconte donc ce qui venait de nous arriver à la “Kapucine” et moi-même. Retrouvant la frayeur, je ne pus tout leur dire, laissant de côté certains détails. Juste ce que la mémoire collective doit se rappeler et savoir…
          D’un commun accord, nous décidons de nous reposer. Alors, nous nous affalons là où nous sommes. Histoire de souffler et reprendre nos esprits et espoirs…
Nous en avons bel et bien besoin.
Il ne faut pas oublier la tâche pour laquelle nous nous sommes retrouvées ici. Non pas savoir si nous pouvons vivre ici ; mais trouver ce précieux fluide pour la survie de notre espèce ! Pour nous, vivre ici ou ailleurs est la même maison ; non, ce qui nous est important, nous race jeune, est cet élément vital, ce fluide nourricier qui coule si bien le long de notre gosier. Alors ici aussi nous allons chercher ; ce que nous faisons déjà. Mais franchement, au vu de l’uniformité du paysage et de la vision qui s’en accompagne, je doute.
Après cet instant fugace de repos, bien décidées à trouver notre “or”, nous nous remettons sur pattes. Tout en faisant attention où nous les posons, pour ne pas nous empêtrer, nous allons gaiement ; plutôt, au pas de charge…


          Le sol se remet à bouger plus ou moins, comme si notre trot le dérangeait d’autant. Par peur d’une nouvelle surprise, nous nous mettons à courir et à sauter plus vite ; ce qui apparemment agace ce sol, qui se met à trembler et frémir.
          Quel n’est pas notre étonnement !
          C’est la première fois, vraiment la première fois, que notre petite troupe se retrouve avec de tels phénomènes… nous en sommes abasourdies !
          Puis, dans un éclair rosé et blanchâtre, une lame apparaît, frétillante, passant au milieu de nous autres… et une autre la suit, et encore une autre… en tout, j’en dénombre cinq courbées, dures, déchirantes. Elles cherchent, fouillent ; nous ne savons ni quoi, ni pourquoi, mais je fais comprendre à ma petite troupe de s’éclater, se disperser pour ne pas en être victime.
          Chacune de notre côté, nous fuyons indisciplinées que nous sommes par la peur, tandis que ces “couteaux” labourent le sol, ou du moins, s’y essayent. Le mouvement est précis, rapide et net. Ils savent où frapper.
          Puis, d’un coup cela s’arrête et disparaît.
          Tout apparaît calme, enfin !
          Après un laps de temps d’intense tranquillité mais bref, j’entends un suintement léger et discret. Je vois passer devant moi un liquide vif, clair et rougeâtre. Il passe tranquillement, insouciant de ma présence, et continue son chemin au hasard des détours, tout en faisant son lit. Devant peu de méfiance, j’y plonge ma trompe ; histoire de toucher, goûter et d’avoir une réaction. À part, une légère succion ; rien ne se passe. Apparemment, aucun danger !
Mais, quel goût !
Ah mes aïeux, mon Dieu, et mes amies, si vous saviez.. Aie-je donc trouver le nectar ? En tout cas, cela y ressemble assurément.


Reprenant mes esprits, contenant mon ivresse joyeuse, je me retourne pour aller retrouver les autres, et les y amener. Je n’en ai point le temps, car quatre d’entre elles arrivent me rejoindre. A leur air, je comprends vite que nous ne reverrons plus jamais les dernières, coupées en deux, mortes sur le coup. Je m’empresse alors de leur faire part de ma trouvaille, et leur fait goûter un échantillon, tout en les rassurant sur l’indolence de ce fleuve. Elles, aussi, sont agréablement surprises. Pour chacune de nous, c’est la jouissance nourricière… enfin !
Nous nous sentons rapidement revigorées. Cela confirme l’analyse chimique instantanée que nous en avions faite… bourrés d’éléments nutritionnels, de vitamines, etc…
Que cela est merveilleux, agréable, après tant d’épiques aventures !

Nous nous en gavons jusqu’à plus soif. Nous en avalons, jusqu’à nous grossir au point de rupture, au point de presque éclater ; nous faisons par la même nos stocks, nos réserves. Repues, nous nous laissons avachir, tombant de côté. Nous en profitons pour nous délasser et nous prélasser. Pendant que certaines s’amusent et d’autres rient, moi, j’observe cette rigole nourricière et remarque que le flot s’amenuise petit-à-petit.
          C’est alors qu’un nouveau phénomène se passe. Je le fais remarquer à mes compagnes qui deviennent elles aussi attentives.
          Ce fleuve pourpre, après avoir formé un fin filet d’écoulement, se cristallise ; d’abord sur les bords, puis les cristaux finissent par se rejoindre. À ce moment-là, tout devient sec, les cristaux durcissent, s’éclatent les uns des autres. Nous sommes vraiment impressionnées mais nullement apeurées, car il n’y a de leur part aucune volonté d’agression, aucune velléité.
         

Oh, oui que ce monde, sur lequel nous avons atterri au petit matin est étrange. Étonnants tous ces phénomènes auxquels nous avons assistées.
Assisterons-nous à d’autres forces, toutes aussi semblables, similaires par leur extravagance et toutes aussi différentes par leur manifestation ?
Nous “Petites Puces d’Avant-Garde”, nous ne savons point. Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’ici ou sur d’autres mondes, nous le découvrirons avec d’autres petits matins…


EsteBaN H.
7 mars 2007


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